Noël blues [concours : je me suis fait la belle]

Je déteste Noël ! Plus que tous les autres jours de l'année, j'aimerais rester couché sous ma couette. Mais je n'ai pas le droit, alors je me lève en grognant. Je traverse l'atelier grouillant d'activité en trainant les pieds. L'énorme sapin est là, comme chaque année, brillant de mille feux. Je lui jette un regard noir au passage. Dans l'angle, une cheminée crépite de temps en temps. La musique est omniprésente, mais je n'y fais plus attention depuis longtemps. Je ne supporte plus tout ça. Les lumières, les rires, les décorations. J'aimerais être ailleurs. Au soleil, tiens ! Oui ça me plairait bien d'aller me dorer la couenne aux Seychelles... Mais je suis coincé ici jusqu'au 24 décembre à me geler les pieds. Pourquoi faut-il absolument que j'aille travailler ? Après tout, les gens normaux se reposent, eux, le soir de Noël. Ils festoient, dansent, ouvrent leurs cadeaux. Et moi, qu'est-ce que je fais ? Je trime ! Marre, marre, marre... C'est décidé, cette année, je me fais la belle !

« Mais Père Noël, la distribution est ce soir ! Vous ne pouvez pas faire ça ! m'arrête un lutin sautillant qui secoue sans cesse le grelot de son bonnet vert.
– Ha oui ? Et pourquoi donc mon cher ? lui demandé-je de ma grosse voix.
– Mais parce que les enfants ont besoin de vous, enfin ! Ça toujours été comme ça ! Et puis, si vous ne le faîtes pas, qui va distribuer les cadeaux à votre place ?
– Appelez le lapin de Pâques, mon ami ! Après tout, s'il sait planquer des œufs en chocolat dans les jardins sans être repéré, il doit pouvoir faire la même chose avec des cadeaux au pied d'un sapin. Ce n'est pas sorcier !
– Le lapin de Pâques déteste le froid, vous le savez bien ! Il n'aime que l'odeur des fleurs et de l'herbe fraiche du printemps. Nous ne pouvons pas lui demander ça !
– Alors proposez la distribution des cadeaux à la petite souris. Elle est si minuscule qu'elle passera aisément dans les cheminées ! Tout le monde sera content...
– La petite souris ne pourra jamais porter le moindre cadeau, elle serait écrasée sous le poids, vous le savez aussi ! Elle peut à peine apporter une pièce aux enfants.
– Est-ce que vous avez fini de me contredire maintenant ? Je ne sais pas moi, convoquez toutes les légendes, organisez un grand casting, et offrez la tournée de Noël au meilleur d'entre eux ! Je suis certain qu'ils se bousculeront pour être le vainqueur. Le marchand de sable, croque-mitaine, ils seront tous ravis de me piquer ma place et moi je serais heureux de m'en débarrasser, alors... »

J'erre dans les allées de l'atelier sans but précis, mon sac à dos sur les épaules. Je veux faire un dernier tour avant de quitter mon antre pour le long voyage que je projette. Ma joyeuse troupe de lutins emballe minutieusement chaque cadeau dans un papier coloré et brillant qui le protégera jusqu'à la remise à son propriétaire. La plupart d'entre-eux ignorent sans doute encore que ce soir, je ne serais pas de la fête. Ils sifflotent, insouciants, emportés par la magie de l'instant. Un curieux mélange de sentiments s'empare de moi. L'idée de pouvoir m'évader de toute cette mascarade éphémère me plaît bien. Mais une certaine tristesse me serre la gorge. Après tout, j'ai passé toute ma vie à distribuer des cadeaux pour rendre heureux les enfants. Seront-ils tristes en ce soir de Noël, attendant en vain d'apercevoir dans la nuit mon manteau rouge et ma longue barbe blanche ? Allons-bon, haut les cœurs, j'ai pris ma décision. Je ne vais pas revenir en arrière maintenant, ces vacances, je les mérite ! Et puis, j'ai mes raisons de fuir le 24 décembre...

Tout à coup, alors que j'ouvre la porte, permettant aux flocons de neige curieux de s'engouffrer à l'intérieur, je sursaute. Une petite fille haute comme trois pommes se tient juste devant moi. Les bras croisés, elle me fixe d'un air buté. Ses joues sont rougies par le froid, mais elle semble prête à en découdre avec moi. Je déteste les enfants quand ils font des caprices. Et puis d'abord, comment a-t-elle pu découvrir mon atelier, si bien caché aux yeux de tous ? Tout ça me fatigue déjà. Mais je ne peux décemment pas partir sans avoir réglé ce dernier problème. Alors que j'ouvre la bouche pour lui demander la raison de sa présence, elle m'arrête :
« Père Noël, vous ne pouvez pas partir ! Vous n'avez pas le droit !
– Comment es-tu au courant ?! Et d'abord, qui es-tu chère enfant ?
– Je m'appelle Nina. Si je sais tout sur vous, c'est grâce à 'Nours. Vous vous souvenez de lui ? Un petit ourson couleur caramel que vous m'avez amené l'année dernière ? Et bien des fois, la nuit, il disparaît. Moi je sais qu'il va rejoindre Joy, votre lutin en chef, et qu'ils se racontent tout plein d'histoires...
– D'accord d'accord, on se calme ! la coupé-je en agitant les mains. Écoute-moi bien ! Je prends des vacances, j'en ai décidé ainsi, et ce n'est pas une petite fille comme toi qui va pouvoir m'en empêcher ! Si tu as peur pour tes cadeaux, ne t'en fait pas, quelqu'un d'autre te les apportera. Allez ciao la compagnie ! »

Tournant le dos, je fais quelques pas en direction de l'écurie et ordonne à Comète un des me rennes de ramener cette énergumène chez elle rapidement. Puis, enfin libre, je m'installe à bord de mon traineau et lance les autres rennes au galop pour décoller direction les îles tropicales. En quelques minutes à peine, je me retrouve sur une plage de sable blanc, les doigts de pieds en éventail et un cocktail à la main. Je ferme les yeux pour une petite sieste. Quand je me réveille, j'ai chaud, trop chaud. J'ai dû attraper un coup de soleil. La luminosité commence à décliner dans le ciel et la nostalgie m'envahit sans prévenir. À cette heure-ci, je devrais être en train de remplir le traineau de milliers de cadeaux. Pourquoi fait-il si chaud ici ? Ma neige me manque, mon atelier me manque, et les lutins aussi. Mais surtout, j'ai imprimé sur la rétine le regard triste d'une petite fille qui me voit partir sans pouvoir me retenir. Maintenant je le sais, je n'aurais pas dû quitter mon chez-moi. Mais n'est-il pas déjà trop tard pour me faire pardonner ? Et puis quelle idée aussi de vouloir fuir Noël ! C'est vrai, j'ai été idiot de me soustraire à mon devoir uniquement parce que personne ne m'offre de cadeau à moi, le Père Noël... La solitude est le revers de la médaille. J'offre des sourires dans les foyers, des étoiles dans les yeux des enfants, mais je n'ai droit à rien en retour. Un verre de lait, quelques biscuits parfois, mais j'aimerais tellement moi aussi pouvoir déballer un joli paquet plein de rubans. Enfin, ce n'est pas le moment de penser à ça, j'ai une distribution de cadeaux à honorer, alors en avant ! Ho ho ho devrais-je dire !

J'ai à peine posé un pied sur le plancher grinçant de l'atelier qu'une ribambelle de lutins se met à sautiller autour de moi. Dans un concert de grelots, ils me serrent dans leurs petits bras, paniquent du retard que nous avons pris, et rigolent tout en même temps. La suite des opérations se déroule en moins d'une heure. Sous mes ordres, les lutins forment une grande chaine humaine et remplissent le traineau de ses jouets avec une efficacité redoutable. Les rennes sont brossés, attelés et prêts au décollage. Quant à moi, j'ai revêtu mon plus bel habit de fête : costume rouge, bonnet sur la tête et hotte sur le dos. Avec un dernier signe de la main pour mes assistants, je quitte le sol pour notre première destination. J'ai comme dans l'idée que la personne à qui nous allons rendre visite sera plus heureuse de me voir que n'importe quel autre enfant au monde. Et alors que le vent fouette mon visage et que je virevolte entre les étoiles, j'ai la certitude d'être enfin à ma place !

La cheminée est étroite mais je n'ai pas perdu la main depuis l'année dernière. En quelques mouvements agiles, je me laisse glisser jusqu'en bas. Le salon est plongé dans la pénombre, à part un petit sapin dont les guirlandes clignotent encore. À son pied, je dépose sans faire de bruit un énorme paquet enroulé dans du papier de soie. Toujours penché sur le frêle arbre, je lance dans un sourire joyeux :
« Tu tombes bien Nina, j'avais justement quelque chose à te dire !
La petite fille s'avance, à demi-endormie, son ours en peluche dans les bras. Quand elle réalise enfin que je suis bien là, elle ouvre de grands yeux et hurle :
– Je savais que vous viendriez, je l'ai toujours su ! Vous êtes le meilleur !
– Oui Nina, je suis venu, et c'est grâce à toi. Tu as sauvé Noël. Alors pour ça, de ma part et de celle de tous les enfants du monde, merci du fond du coeur !
Je m'approche d'elle, la serre dans mes bras à l'en étouffer, lui plante un baiser sonore sur la joue, et me dirige vers la cheminée. Je suis sur le point de repartir pour d'autres aventures, vers un ailleurs lointain, quand elle m'apostrophe :
– Attendez Père Noël ! Moi aussi j'ai quelque chose pour vous !
La fillette se précipite dans le couloir pour en revenir quelques instants plus tard. Dans ses bras, elle tient une jolie boite ronde qu'elle me tend avec un grand sourire. Éberlué, je mets plusieurs secondes à m'en saisir. Mon premier cadeau, mon premier vrai de vrai cadeau ! Avec précaution, j'ôte le ruban rouge qui ferme le paquet. À l'intérieur, une superbe écharpe multicolore est nichée en boule. Je caresse sa douceur du bout des doigts et les larmes me montent aux yeux.
– Je l'ai faite pour vous ! Précise-t-elle. »

J'aime Noël ! J'aime sa magie, son lot de bonheur, son sapin, sa dinde aux marrons, ses cadeaux, ses décorations, sa musique, ses rires, sa neige et ses beaux habits. Il n'y a pas d'autres jours de l'année que j'aime plus que celui-ci. Ce soir-là, c'est mon soir. Moi le Père Noël, je suis au centre de cette joie éphémère et irréelle. Je ne voudrais être nulle part ailleurs qu'ici, sous ce ciel étoilé, dans mon traineau qui traverse les cieux à la rencontre de tous les enfants du monde. Et même si pour cela, je dois travailler jusqu'à l'aube, je dois franchir des frontières et soulever des montagnes, je serais ce rêve qu'ils attendent. Je serais cet espoir fou, je serais ces nuits trop courtes et ces petits matins enchantés. Et puis, les vacances peuvent bien attendre un peu ! Juste quelques jours ou quelques mois ! Parce que promis juré, foi de Père Noël, un de ces quatre, je me fais la belle !

Il est super chouette, ce conte de NoëL, PP! Je l'ai beaucoup aimé, ça a réveillé mon âme d'enfant. Je crois bien que je le lirai à ma fille.

Et tant pis si la belle n'est que très éphémère, la lecture de ton texte nous met des étoiles plein les yeux! tu n'as jamais songé à écrire pour la jeunesse?

Et bien merci beaucoup Aven' ! Je suis ravie d'avoir rallumé ton âme d'enfant pendant quelques instants ! N'ayant jamais écrit dans ce style-là, j'étais très curieuse de connaitre les réactions, ce qui répond à ta question au passage, non je n'ai jamais envisagé l'écriture pour la jeunesse ^^

Ce qui serait encore plus intéressant, c'est d'avoir la réaction d'un enfant à cette histoire, donc si tu le lis à ta fille, je serais vraiment ravie que tu me donnes ses impressions

Je viens de lire ton histoire à ma fille, et elle l'a adorée.

Par contre, en la lisant, j'ai remarqué une vilaine répétition :
"Tout à coup, alors que j'ouvre la porte, permettant aux flocons de neige curieux de s'engouffrer sur le pas de la porte, je sursaute."

Tu as de l'avenir dans les récits jeunesse : l'histoire est classique, mais super sympa et bien racontée.

Génial, je suis encore plus contente si l'histoire fonctionne sur les enfants

Arf, merci pour la vilaine répétition, je vais la corriger tout de suite ! Et encore merci pour tes encouragements, je vais peut-être creuser cette piste, j'ai trouvé ça sympa à écrire en plus

Salut PetitePlume,

J'ai vraiment beaucoup aimé ton histoire. J'adore Noël et, pendant un moment, tu m'as fait replongé dans un dessin animé que j'ai vu au cinéma avec ma plus grande l'année dernière (Les 5 légendes). J'irai d'ailleurs voir avec elle La reine des glaces cette année.
Tu décris le tout très bien et les quelques petites fautes (j'ai eu la flemme de les corriger, désolé) n'enlèvent rien au charme et à la magie de ton histoire.
Dès que je rentre chez moi, je la lirai à mes filles et viendrai te faire leur rapport.  

Comme Khal, j'ai aussi pensé aux cinq légendes.

Et ma fille de dire : il est déjà en vacances toute l'année, le père Noël!

Ca y est, j’ai enfin pu trouver du temps pour lire ce texte et je ne le regrette pas. Il est excellent ! J’ai particulièrement apprécié la partie avec le lapin de Pâques et l’idée des légendes et du casting. Et aussi la fameuse phrase «Ho ho ho », bien sûr.

Mon correcteur me dit qu’il n’est pas utile de mettre un trait d’union à « Allons bon » ni à « à demi endormie » et qu’il faut un s à « ne t’en fais pas, quelqu’un d’autre te les apportera », donc je te transmet ses suggestions. Sinon il manquait des accents circonflexes, mais c’est parce que j’écris à l’ancienne et toi apparemment avec la nouvelle écriture.

Il ne manque plus que quelques illustrations et tu as là une très belle histoire pour enfants. Le thème est respecté et de plus avec un très beau sujet original. Bravo

Hooo merci beaucoup à tous les deux Khal et Asyne, je suis super contente que vous ayez trouvé du charme à ce petit conte de Noël que j'ai pourtant eu du mal à démarrer !

Sinon, en effet les garçons, je me suis un peu inspirée des 5 légendes pour retrouver à qui le père Noël pourrait bien refiler son poste 

Et oui Asyne, avec des images ça serait vraiment chouette tiens, j'y penserais si j'ai du temps pendant les vacs, j'essaierais des petites gribouilles pour accompagner le texte vu que je suis pas une pro ^^
Et merci pour la correction aussi au passage !