Une vie ordinaire

Soudain prise d'une belle inspiration nocturne, j'ai enfin réussi à pondre un texte qui me plaisait, alors voilà, enjoy !!!  

Une vie ordinaire

J'ai un an. Une unique bougie scintille sur mon joli gâteau glacé de crème rose, comme le symbole de cette première année que j'ai vaincue. Je n'ai pas encore la force de la souffler, alors mes parents le font pour moi, en riant aux éclats. Je ne sais pas encore ce que tout cela signifie, mais les papiers colorés des cadeaux, la musique, les lumières, tout me plaît déjà. Les yeux brillants, j'applaudis des deux mains en ouvrant grand la bouche et en émettant des petits bruits. Mes parents m'embrassent et me serrent dans leurs bras, encore et encore. Je suis heureuse, heureuse d'être née. Et prête à affronter la vie...

J'ai cinq ans. Je gambade joyeusement autour de la table où s'empilent dans une confusion haute en couleurs, mets et présents, couverts et décorations. Mes parents ont invité tous mes petits camarades d'école à venir à la maison. Soudain, une fillette poursuivie par un bambin mutin chute à terre et se met à pleurer. Rapidement consolée par l'attrait d'un bonbon, la fête reprend sans plus d'incident. Comme je suis grande maintenant, les bougies du gâteau vacillent sous mon souffle irrégulier. Puis, la saveur sucrée du chocolat explose dans ma bouche d'enfant. Est-ce ça le bonheur dont parle les adultes ?

J'ai dix ans. J'organise ma première soirée entre filles. Entourée de mes meilleures amies, nous rions dans ma chambre, tandis que mes parents surveillent d'en bas. Maman a apporté le gâteau tout à l'heure, mais nous l'avons rapidement avalé sans même faire attention aux jolies décorations qu'elle s'est appliquée à faire tout l'après-midi. Nous nous sommes affublées de longues robes chipées dans le dressing parental, et nos coiffures se sont faits l'écho de l'extravagance même. Le maquillage est aussi étalé partout au sol. Poupées à taille humaine, nous nous fichons bien de ce qui se fait ou non. Aujourd'hui est ma journée, je suis la reine...

J'ai quinze ans. Mes parents m'ont refusée le tatouage de mes rêves alors pour me venger, j'ai décidé de m'enfermer dans ma chambre. Mon père s'égosille depuis une demi heure pour que j'aille souffler mes bougies. Il peut bien se le mettre où je pense son foutu gâteau à la crème. Ça me donne envie de vomir rien que d'y penser. De toute façon, il n'y a bien que mon copain qui me comprenne, alors je l'appelle pour chercher un peu de réconfort. Mais occupé à jouer à je ne sais quel jeu vidéo débile, il me raccroche au nez au bout de quelques minutes. Décidément quelle journée de merde. Si seulement je pouvais déjà être adulte...

J'ai vingt ans. En guise de cadeau d'anniversaire, je viens de recevoir les factures du petit studio miteux que j'habite. Nous sommes au début du mois et je ne mange déjà plus que des pâtes pour tenir. Heureusement que mes résultats d'examen m'ont remonté le moral. Mes parents sont partis en voyage alors je trinque en solitaire, affalée devant ma télévision. Le temps de l'insouciance me paraît loin alors que je suis aux portes de la vie. Allez ma vieille, secoue-toi ! M'extorquant au courage, j'enfile une petite jupe toute simple, un top légèrement décolleté et des talons haut mais pas trop. Et je pars danser, pour me sentir jeune et libre, vivante...

J'ai trente ans. L'homme que j'aime m'a organisée le plus beau des anniversaires. Voyage en amoureux, bijou étincelant, et nuit d'amour à n'en plus finir. Nous sommes dans une bulle de bonheur que rien ne peut venir éclater. La soirée a été merveilleuse. Tout est tellement merveilleux depuis qu'il est entré dans ma vie.
Je ne quitte plus l'odeur de sa peau et la sensation de ses lèvres sur les miennes. Bientôt notre rêve le plus fou va même se réaliser. Un enfant grandit en moi. Le cercle de la vie. Le recommencement. Encore et toujours. La chambre est déjà prête. Nous espérons que ça sera un garçon. Mon plus beau cadeau, ça sera lui...

J'ai quarante ans. Mon mari ne m'a pas souhaité ma fête. Je suis seule devant un verre de vin dans lequel je noie ma peine. Une larme coule sur ma joue, vite essuyée. L'homme avec qui j'ai vécu dix ans me déteste. Désormais, il n'aime plus que la petite secrétaire de vingt ans avec qui il est parti. Les papiers du divorce sont déjà sur le buffet. Tant d'années réduites à quelques feuilles. Notre fils est devant la télévision. Il ignore encore que ses parents se déchirent. Il est persuadé que ''papa est parti en voyage''. J'aimerais qu'il ait raison. Mais je ne crois plus au bonheur. Je suis vieille avant l'heure. Vieille et aigrie. Malheureuse...

J'ai cinquante ans. Toute ma famille s'est réunie pour l'occasion. Ma sœur et son mari, leurs deux enfants, mon fils et sa nouvelle petite amie. Maria. Ou peut-être Anna. Je ne sais plus bien. Ces derniers temps, j'oublie des choses, aussi banales soient-elles. Pourquoi suis-je dans cette pièce ? Où sont mes clés ? Quel est le nom de cette voisine qui me salue ? Mais peu importe. Aujourd'hui est jour de fête. Leur visite brise la solitude qui m'envahis un peu plus chaque jour. Depuis que mon unique enfant s'est envolé du nid, ma vie n'a plus vraiment de sens. Pourtant, je suis à l'âge de la maturité, de la sagesse. Encore tellement de choses à vivre...

J'ai soixante ans. Le diagnostic est tombé : maladie d'Alzheimer. Les mots se font plus difficiles, les gestes plus compliqués. Alors pour compenser, je dors. Presque tout le temps. Et j'oublie, le reste du temps. J'oublie les noms, les adresses et les âges. J'oublie les visages, les voix et les rires. Mon histoire s'étiole à chaque seconde. Ma vie se réduit à quelques gestes quotidiens, répétés encore et encore. Une routine qui m'ensevelis sous les décombres de ce qui fut mon existence. À la maison médicalisée, ils ont tenu à fêter mon anniversaire. Mais je n'ai plus la force de souffler toutes leurs bougies, alors ils le font pour moi. Retour à la case départ...

J'ai soixante-dix ans. Je ne suis plus qu'une enveloppe de chair déconnectée de tout. Une ombre flottant entre deux mondes. J'aimerais mourir mais je tiens trop à la vie pour l'abandonner. J'aimerais vivre mais je suis déjà un pied dans la tombe. Comme au bord du gouffre, je suis prête à me fissurer au moindre souffle. Mes yeux voudraient voir le monde, le manger une dernière fois du regard, mais ils ne scrutent déjà plus que du noir. Pourquoi ce stupide coeur bat-il encore ? Peut-être que si je prie, quelqu'un m'entendra de là haut. Encore faudrait-il que je me souvienne d'une prière. Ou peut-être suffit-il que je lâche prise. Vers un ailleurs...


Je viens de naître. On dit qu'au moment de venir au monde, un ange-gardien appuie son doigt sur la lèvre du fœtus en lui murmurant d'oublier toutes ses vies précédentes pour que leur souvenir ne le gêne pas dans cette vie-ci. Cette petite gouttière au-dessus des lèvres du nouveau-né est le symbole de cet oubli. Mais moi, je sais. J'ai tout vu de ma vie précédente avant qu'elle ne s'efface pour toujours. En suis-je meilleure pour autant ? Saurais-je être digne de cette vie qu'on m'offre ? Qu'apprendrais-je au détour de mes victoires et de mes échecs ? Sans doute que la vie n'est pas toute tracée. Que nous sommes tous capable de changer les choses. Que nous sommes tous maîtres de nos destins. Je saurais être une autre. Je saurais être moi. Je saurais être unique. Car ma vie sera peut-être ordinaire, mais, de fête en fête, d'année en année, d'existence en existence, il ne tient qu'à moi de la rendre extraordinaire...

Euhhhhhhhh... beh ecoute...hein...tu sais que tu dois écrire la nuit maintenant.
C'est juste génialissime...
Très profond, très émouvant... Excellent texte, je ne sais que dire d'autre.

Coucou pépé! Je suis passée te lire est j'ai bien aimé les différentes étapes. C'est vrai que la vie est tellement triste que ça aurait été plus gaie une fin heureuse, étant donné le thème.
Chaque étape est cependant bien déterminée, l'évolution est présente et claire, au niveau du caractère et de l'état d'esprit de la personne.

Merci beaucoup Chica, tu es le rayon de soleil des commentaires  

Merci Hélio, tu mets le doigt exactement sur le point sensible que j'ai soulevé moi-même dans ma tête...
Au moment de l'écriture, je me suis dit que je faisais vieillir ma pauvre femme bien trop prématurément, car en comparant avec mes parents qui ont la cinquantaine, je ne vois pas du tout la pente déclinante à cet âge. Cependant, en faisant quelques recherches rapides sur la maladie d'Alzheimer, j'ai vu que l'âge moyen de l'espérance de vie diminue en fonction de l'âge à laquelle la maladie est diagnostiquée. En gros, je n'ai plus les chiffres exacts mais à 60 ans la survie est de 10 ans alors qu'à 70 ans elle n'est plus que de 5 ans environ... Du coup, comme j'allais de décennie en décennie, j'ai pris 60 ans et 70 ans comme point de repère.
Crois-tu que l'ensemble serait plus crédible, si je changeais l'étape des 50 ans, la faisait commencer à vieillir à 60 ans, diagnostiquer à 70 ans et mourir à 75 ans ? En tout cas, merci de cet éclairant commentaire, c'est très intéressant tout ce que tu dis !

Merci Des', j'ai du mal avec les fins heureuses, tu as bien raison... Mais avec la naissance finale et le recommencement de la vie, je reste quand même sur une note très positive

J'ai bien aimé ton texte P'titePlume! Il est percutant. Toujours l'utilisation de la première personne que tu sembles affectionner. Ce style simple qui fonctionne. Seul moins je dirais sur certains passages qui ont tendance à briser le rythme ou qui auraient mérité plus grande portée.
Ca a toujours quelque chose d'inquiétant de lire la vie d'une personne en si peu de ligne. Ca nous rappelle que le temps passe vite... Que toute vie est ordinaire, et que dix années peuvent finalement se résumer à un paragraphe...

Merci mon pia' ! T'arrives à mettre des apostrophes même dans mon pseudo, respect XD

Pianitza a écrit:Ca a toujours quelque chose d'inquiétant de lire la vie d'une personne en si peu de ligne. Ca nous rappelle que le temps passe vite...

Tu as capté l'essence de ce texte, ce que j'ai voulu montrer, du coup je suis satisfaite ^^

Bon, je suis fan de tes textes et particulièrement celui là. J'ai commencé en souriant, j'ai poursuivis en partageant lecture et souvenirs, j'ai supposé la maladie et elle est tombée, et j'ai adoré le dernier paragraphe.

Quand j'ai lu ses oublis, j'ai vérifié l'âge me disant que c'était un peu tôt, mais comme cela arrive parfois très tôt cela ne m'a pas gêné pour la suite de l'évolution. Tu sais toucher en parlant du quotidien et de la vie, j'aime beaucoup la simplicité quand elle fait mouche !  
Des petits trucs que j'ai vu :

et nos coiffures se sont faits l'écho de l'extravagance même.

fait

Mes parents m'ont refusée le tatouage de mes rêves

refusé

Mon père s'égosille depuis une demi heure

demi-heure

un top légèrement décolleté et des talons haut mais pas trop.

hauts

L'homme que j'aime m'a organisée le plus beau des anniversaires.

oragnisé

Que nous sommes tous capable de changer les choses.

capables

Hooo merci Asyne, tes compliments me touchent beaucoup !  Par contre, définitivement, la nuit ne me réussie pas tant que ça aux vues du nombre de fautes qui traînassent encore dans le coin  Je corrigerais tout ça demain matin

Hello Miss. J'ai beaucoup aimé ton texte, l'idée de dérouler une vie sur plusieurs décennies, son écriture... Ca m'a fait pensé à une chanson de Romain Didier (personne ne connaît, je te rassure) : vie de femme.

Je rejoindrai Hélio sur un point : les premiers symptômes de ton personnage arrivent assez tôt. Tu aurais à mon sens dû concentrer le déclin de la mémoire (entre 65 et 75 ans par exemple, sachant que la maison médicalisée est la toute dernière étape avant la fin. Je connais un peu le sujet, la grand-mère de mon épouse s'étant éteinte dans ces conditions.)

En revanche, j'adhère complètement à la fin, ma fille étant née peu de temps après le décès de son arrière-grand-mère atteinte d'alzheimer.

Par contre, j'ai un petit souci "sociétal" (je ne sais pas comment le définir autrement) avec ton texte : en fait, ce qui selon moi pêche dans ton récit, c'est que ton repère temporel est celui de nos jours décliné sur plusieurs décennies. Or la fête d'anniversaire des 10 ans reflète ce qui est de plus en plus courant de nos jours (les lolitas étant de plus en plus précoces), mais pas du tout ce qui se passait il y a 20 ou 30 ans. Idem pour la vie des femmes à la trentaine (à l'époque de mes parents, on faisait des enfants généralement plus tôt qu'aujourd'hui, où la moyenne du premier enfant se situe aux alentours de 28 ans), à la quarantaine (le divorce est aussi un phénomène plus massif aujourd'hui qu'il y a 30 ou 40 ans). Voilà, je ne sais pas si je suis clair, j'espère que tu as saisi l'idée. Je pense que tu devrais déterminer quel âge ton personnage a aujourd'hui et décrire sa vie par rapport à ce repère temporel.

En résumé, l'idée est excellente, c'est très bien amené, très bien écrit, mais il te faudrait mieux situer ton personnage et sa vie sur l'axe temporel. J'ai en tout cas passé un très bon moment à te lire, ta plume est toujours un délice.

Merciii beaucoup Aven' pour cet avis constructif !

En effet, dans l'idée tu rejoins hélio sur le fait que le déclin de la femme est trop tôt, et je l'ai bien noté, je modifierais mon texte en décalant tout ça quand le concours sera terminé, histoire qu'actuellement les membres votent bien pour le texte originel

Pour le problème sociétal, je comprends et en même temps je ne comprends pas (qui vient de dire que c'était pas clair ce que je raconte ?!  )... Je suis partie dans l'idée que la femme naissait de nos jours, dans la société qui est la nôtre en ce moment. Du coup, il me semble logique que tous les âges correspondent en effet aux conceptions d'aujourd'hui... Bien que du coup, dans le cadre d'une évolution des moeurs, il faudrait que j'arrive à anticiper quelles seraient les conceptions dans plusieurs décennies... Arf, tout ça est bien compliqué pour un petit texte sans prétention  

En tout cas, merci pour ton passage et les compliments

Si elle naît aujourd'hui, il convient effectivement "d'anticiper" son futur. Et on peut donc penser qu'il y aura des améliorations concernant Alzheimer.
Du coup, j'ai l'impression qu'il serait plus judicieux de la faire vivre la fin de sa vie de nos jours et de remonter dans le temps avec les tendances sociétales de l'époque. Mais ce n'est que mon avis, parce que je suis plus à l'aise pour me projeter dans le passé que dans le futur. Cela dit, je sais que toi tu es plus à l'aise dans l'anticipation.

En effet Hélio, tu as bien raison, en remontant dans le temps ''mes'' tendances ne vont plus du tout ! Dans ce cas, en effet, je ferais mieux de décaler l'âge de sa maladie en admettant que des améliorations ont été trouvées et que les tendances ne changeront plus trop dans les prochaines années si rien ne vient bouleverser nos habitudes ^^